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Panorama : Quand les élections mettent de l’ordre (et du désordre)

En pleine campagne électorale, la majorité et l’opposition choisissent leurs candidats pour les primaires de septembre et les législatives de novembre 2021. 

Par Jean-Louis Buchet (*)

Les élections parlementaires de novembre et les primaires de septembre ordonnent la vie politique. Ordonnent et désordonnent, parce qu’il y a eu aussi beaucoup de désordre, spécialement dans l’opposition. Pour la coalition « Juntos por el Cambio » (Ensemble pour le Changement), la première bataille a fini par la victoire d’Horacio Rodríguez Larreta sur Patricia Bullrich, qui a dû renoncer à sa potentielle candidature à la ville de Buenos Aires, pour laisser la place à María Eugenia Vidal. Cela a été aussi l’échec de l’ex président Mauricio Macri.

D’autres batailles suivront dans “Juntos por el Cambio”, mais tout va finir par s’ordonner, parce qu’ils ont besoin les uns des autres, et qu’ils doivent se présenter ensemble aux élections. L’habileté d’Horacio Rodríguez Larreta pour consolider ses victoires tout en laissant de l’espace aux autres composants de la coalition sera importante. Ce positionnement du chef du gouvernement de la ville de Buenos Aires est intéressant parce ce qu’il prépare sa candidature aux présidentielles de 2023. Patricia Bullrich poursuit le même objectif mais, aujourd´hui, Rodríguez Larreta a le dessus. Il sera probablement le grand ordonnateur du PRO –le parti majoritaire de la coalition. Cependant, et c’est un point intéressant, les radicaux se sont réveillés. Il y a un phénomène nouveau, avec l’apparition de personnages comme Facundo Manes, qui, pour certains, représente un élargissement de la coalition vers le centre gauche. En tous cas, les radicaux veulent avoir plus d’espace et s’affirmer pour 2023. C’est un autre point intéressant, parce que si l’UCR (Unión Cívica Radical) se renforce, cela peut être positif pour la coalition en tant que telle.
Mais nous remarquons que du côté de l’opposition il n’y a pas de propositions. Seulement une critique acharnée du gouvernement d’Alberto Fernández, pour ce qu’il fait ou ce qu’il n’a pas fait. On ne peut voir quels changements ou quel pays ils voudraient construire s’ils se retrouvaient au pouvoir en 2023.

De l’autre côté, la coalition officielle du “Frente de Todos” (Front de Tous) a –bien sûr- également ses luttes intestines. De nombreux observateurs insistent sur le fait que l’ex présidente et actuelle vice-présidente de la Nation, Cristina Fernández de Kirchner, gagne de l’espace face au président Alberto Fernández. Je n’en suis pas si sûr. Pourquoi ? Parce qu’Alberto Fernández, bien qu’il n’ait pas de poids propre, est président, ce qui est déjà beaucoup et, si toutefois il n’existe pas un “Albertismo”, il compte sur l’appui -tactique en tous cas- de nombreux secteurs du péronisme qui ne sont ni kirchnéristes, ni christinistes, ni camporistes : une grande partie du syndicalisme, de nombreux gouverneurs de provinces et intendants. Dans cette coalition, si toutefois il va y avoir des disputes pour les candidatures, il y aura finalement un équilibre pour arriver de la meilleure façon possible aux élections.

Il faut souligner ici le leadership de Sergio Massa. Le président de la Chambre des Députés s’est distingué par ses voyages à l’étranger et ses propositions économiques et politiques. Il a joué un rôle important pour que le parti « Frente de Todos » gagne les élections en 2019, et actuellement nous le voyons croître.

Il n’y a pas non plus de nombreuses propositions du côté du parti au pouvoir. Le gouvernement essaie tout juste d’arriver de la meilleure manière possible aux élections, grâce à deux éléments. D’abord, le plan de vaccination anti-covid, qui avance beaucoup et bien et cela est important parce que bien que pour l’instant les sondages nous disent que les électeurs n’attachent pas tant d’importance à cet avancement, dans d’autres pays du monde, en général, lorsque la vaccination atteint des niveaux substantiels, de 50 % ou plus de la population avec une dose, l’humeur social s’améliore. C’est ce qui se passe en Europe. Le plan de vaccination, hors son rôle sanitaire, est aussi une arme politique pour le gouvernement. L’opposition l’a bien ressenti : depuis le début elle n’a eu de cesse de dénigrer systématiquement tout ce qui se faisait pour la lutte contre la pandémie et spécialement le plan de vaccination, souvent avec une mauvaise foi évidente. Mais le plan avance et bientôt l’Argentine atteindra un niveau de vaccination de nombreux pays européens.

Quant aux critiques, qui proviennent toujours de l’opposition et qui rendent responsable le gouvernement des décès, ceci est très relatif. Le bilan sera fait à la fin mais il n’y a pas une responsabilité directe. De fait, en Uruguay l’opposition –le « Frente Amplio »- fait les mêmes critiques au gouvernement du président Lacalle Pou. Dans tous les pays existent ce type d’utilisation
politique de la pandémie, les mesures sanitaires, les décès, les vaccins, autant du côté officiel que des opposants.

La seconde arme du gouvernement pour les élections va être – comme toujours dans une année d’élections- de faire percevoir à la population une amélioration de la situation économique. Pour encourager la consommation il y aura des augmentations de salaires -à travers des accords avec les syndicats- une augmentation du salaire minimum et ces mesures s’additionneront aux réformes fiscales pour les autoentrepreneurs et l’impôt sur le revenu.

Ces mesures feront que, d’ici aux élections primaires de septembre, la poche des argentins se trouvera en meilleure situation ce qui consolidera le vote en faveur du « Frente de Todos ». Les sondages jusqu’à présent ne les favorisent pas mais en fait, ne favorisent aucun parti. Le péronisme n’est pas absolument sûr de pouvoir gagner la province de Buenos Aires ; une grande bataille y est attendue et nous savons qu’il s’agit de la mère de toutes les batailles. Il y a plusieurs provinces qui sont en plein dans la dispute; toutefois, à moins qu’il y ait une très grande surprise dans les résultats de certaines juridictions, on ne peut prévoir des changements importants dans la composition du Congrès.

L’hypothèse la plus probable est qu’après les élections de novembre, la situation actuelle se prolonge, avec un ample contrôle du Sénat par le parti  au pouvoir mais une relative majorité à l’Assemblée Nationale ne permettant pas au “Frente de Todos” de faire tout ce qu’il veut : pour chaque projet il doit chercher des alliés et lorsqu’il n’en trouve pas, il ne peut avancer. Ainsi se maintient un certain équilibre entre parti au pouvoir et opposition et le Gouvernement se trouve limité pour appliquer certaines de ses politiques. Chacun le verra à sa manière, dans ce sens.

Il faut remarquer aussi la présence d’un candidat ou d’un secteur du péronisme qui cherche à avancer de manière indépendante : Florencio Randazzo. Il est probable qu’il n’aura pas beaucoup de succès mais réussira à prendre quelques votes à chacune des deux coalitions, plus certainement au « Frente de Todos ».

Tout doit être lu en clé électorale y compris l’important accord qu’a obtenu le ministre Martín Guzmán du Club de Paris : l’Argentine a évité le default, en s’engageant à payer « seulement » 430 millions de dollars et l’échéance de la dette a été repoussée à mars 2022. Par conséquent elle a obtenu plus de temps et c’est ce qu’elle cherchait afin de poursuivre ses négociations avec le Fonds Monétaire International. Parce que l’accord avec le FMI va imposer aussi certaines exigences à l’Argentine, en termes de réduction des dépenses publiques entre autres, c’est-à-dire qu’à un moment donné il faudra appliquer un ajustement. Le gouvernement ne souhaite pas le dire aujourd’hui, mais c’est inévitable. Le Fonds Monétaire ne pourra répondre de manière positive à certaines réclamations provenant du secteur au pouvoir le plus « cristinista » et de Cristina Kirchner elle-même, demandant par exemple que l’accord de facilités élargies soit signé à vingt ans et pas à dix comme l’établit la norme du FMI…. Enfin, probablement cela ne sera pas accepté mais la signature de l’accord est repoussée jusqu’après les élections de novembre, ce qui constituait l’objectif recherché par les secteurs politiques du parti au pouvoir. Ce n’était pas au début, celui de Martín Guzmán, qui a dû s’aligner sur l’aile politique du Gouvernement.

Il faudra attendre l’établissement des listes de candidats pour se faire une opinion plus claire sur les possibilités de chacune des coalitions, en sachant que les situations locales et les personnalités des candidats sont spécialement importantes pour ce type d’élections. Il faudra aussi prendre en compte, d’autre part, ce que nous disent actuellement les sondages : que la personnalité politique la plus populaire et qui provoque le moins de rejet dans le pays est Horacio Rodríguez Larreta. Et que les personnalités politiques les plus rejetées et les moins populaires sont le gouverneur de la
province de Buenos Aires, Axel Kicillof, la vice-présidente, Cristina Fernández de Kirchner, et l’ex-président Mauricio Macri. Cristina a son noyau dur mais ne démarrre pas et Kicillof ne parvient pas à se creuser réellement une place dans la vie politique argentine. D’une certaine façon, ce sont les modérés qui continuent à gagner bien que dans les deux coalitions il y a des discours qui
s’adressent uniquement au secteur le plus dur de leur électorat ; c’est ce que font Patricia Bullrich, Cristina Kirchner, parfois même Alberto Fernández. Rodríguez Larreta, lui, ne le fait pas, parce qu’il est dans la gestion et parce qu’il cultive ce profil modéré qui lui permet de tisser des alliances en vue des présidentielles de 2023.

Nous disions que pour ces élections primaires et législatives, il ne devrait pas y avoir de grandes surprises. Mais, s’il y en avait, il faudrait faire attention à la réaction des marchés. Souvenons-nous de ce qui est arrivé en 2019 quand une partie de l’électorat macriste a voulu punir le président et a engendré une réaction des marchés et une dévaluation très importante du peso. Tout résultat inattendu et très significatif des primaires de septembre, ou un échec important du parti au pouvoir dans la province de Buenos Aires, ou au contraire un résultat moins bon que prévu pour le gouvernement de la ville de Buenos Aires, ou une surprise à Córdoba – autre province très disputée, ou un résultat global très favorable à l’une des deux coalitions, pourraient avoir des conséquences pour le peso et pour la valeur du dollar dans le pays.

(*) Jean-Louis Buchet est le correspondant et représentant de Radio France Internationale en Argentine. Il est également Directeur d’Information de Radio Cultura, qui émet depuis Buenos Aires sur les ondes FM et par Internet.

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